La Récente Réforme du Droit de l’Arbitrage International en France
Le décret n°2011-48 du 13 janvier 2011, entré en vigueur en France le 1er mai 2011, a réformé le droit français de l’arbitrage interne et international[1]. La réforme précédente, qui avait eu lieu 30 ans auparavant avec les décrets du 14 mai 1980 pour l’arbitrage interne (articles 1442 à 1491 anciens du Code de Procédure Civile (CPC)) et du 12 mai 1981 pour l’arbitrage international (articles 1492 à 1506 anciens CPC), avait rénové la matière de façon très progressiste et favorable à l’arbitrage, mais comme l’a montré le passage du temps, relativement succincte.
La concision des textes comme l’essor et l’évolution de la pratique de l’arbitrage a porté la jurisprudence à interpréter et à adapter abondamment ces textes, si bien que le droit français de l’arbitrage, extrêmement prétorien, devenait difficile à déchiffrer pour le lecteur étranger ou non spécialiste de la matière. Dans le contexte concurrentiel de l’arbitrage international, le souci de faciliter la lisibilité du droit français, et d’en moderniser certaines règles s’est donc de plus en plus fait sentir. Ainsi, le décret contient peu de véritables nouveautés mais consolide les solutions dégagées par la jurisprudence française au cours des dernières décennies.
A la suite d’une grande réflexion sur les révisions à apporter aux textes de 1980-1981, le Comité Français de l’Arbitrage (CFA) a présenté un avant-projet de texte en 2006[2], que la Chancellerie a repris et modifié à partir de novembre 2009. Le Rapport au Premier Ministre[3], publié en même temps que le décret, dévoile l’intention des acteurs de la réforme de consolider les acquis de la jurisprudence – ce qui permet de déduire que les solutions dégagées par celle-ci qui ne contredisent pas le nouveau texte seront toujours applicables –, d’améliorer l’efficacité des règles existantes et d’y intégrer des dispositions inspirées de certains droits étrangers.
Ainsi, le gouvernement français et les acteurs de l’arbitrage, qui avaient principalement pour souci de maintenir le rayonnement du droit français de l’arbitrage, ont eu pour objectif de faciliter les conditions de recours à l’arbitrage et d’affirmer l’autorité de la juridiction arbitrale tout en lui assurant l’aide du juge étatique, consacré en tant que « juge d’appui » au soutien de la procédure arbitrale.
Cette réforme concerne aussi bien l’arbitrage interne que l’arbitrage international en intégrant les dispositions du nouveau décret aux articles 1442 à 1527 du CPC dans un livre entièrement consacré à l’arbitrage. Le titre Ier de ce livre traite de l’arbitrage interne (arts. 1442 à 1503 CPC) et le titre II de l’arbitrage international (arts. 1504 à 1527 CPC).
Dans un souci de clarté et pour assurer une meilleure compréhension du texte, notamment pour les praticiens étrangers, le CFA souhaitait que les dispositions présentes dans le titre Ier qui pourraient être communes à l’arbitrage interne et international soient reprises dans le titre II, afin que le régime français du droit de l’arbitrage international puisse être lu indépendamment.
Cependant, les rédacteurs du décret ont préféré la concision des textes et l’absence de répétition, et ont choisi de procéder par renvoi, article par article, comme c’était déjà le cas pour les textes de 1980 et 1981. C’est ainsi que l’article 1506 CPC énumère spécifiquement les articles propres à l’arbitrage interne qui s’appliquent à l’arbitrage international, sauf accord contraire des parties.
Concernant l’application dans le temps des dispositions issues de la réforme, celles-ci sont en grande partie applicables depuis le 1er mai 2011. Cependant, des dispositions transitoires particulières ont été prévues, et nous les mettrons en évidence dans les développements qui suivent.
Rappelons tout d’abord que le droit français définit l’arbitrage international comme « l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international ». Cette définition, issue de l’ancien droit et parfois qualifiée de tautologique, a été reprise dans des termes identiques par le nouvel article 1504 CPC. On rappellera que la jurisprudence française considère que la qualification d’interne ou d’international d’un arbitrage ne dépend pas de la volonté des parties mais d’une définition économique, selon laquelle il suffit que le litige soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable au fond ou à l’arbitrage, ou encore du siège de l’arbitrage. Ainsi, est international l’arbitrage qui met en jeu deux parties françaises, résidant en France, qui ont conclu un contrat pour le développement de leurs activités en France et à l’étranger[4].
I. La convention d’arbitrage
Alors que la convention d’arbitrage interne est définie comme pouvant prendre la forme d’une clause d’arbitrage ou d’un compromis, la convention d’arbitrage en matière internationale n’est pas définie même si, en pratique, en matière commerciale, celle-ci prend également la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Les rédacteurs du décret ont fait choix de ne pas circonscrire la convention d’arbitrage internationale car, notamment dans l’arbitrage relatif aux investissements, le consentement à l’arbitrage peut être donné dans d’autres instruments, comme une loi ou un traité[5].
Ensuite, et contrairement à ce qui est prévu pour l’arbitrage interne[6], la convention d’arbitrage en matière internationale n’est soumise à aucune condition de forme (art. 1507 CPC). Le décret confirme ainsi le principe largement reconnu par la jurisprudence française en matière internationale, selon lequel la convention d’arbitrage peut ne pas résulter d’un accord écrit, signé par les parties à la procédure arbitrale. En effet, selon la jurisprudence française, seule l’intention non équivoque des parties de recourir à l’arbitrage est à démontrer[7]. Cette absence de formalisme permet d’éviter de limiter la portée de la clause d’arbitrage dans des situations complexes, comme celles qui font intervenir de multiples sociétés ou contrats, ainsi par exemple lorsqu’une société mère conclut un contrat que ses filiales exécutent en tout ou partie.
Concernant les effets de la convention d’arbitrage, le décret ne contient pas de nouveauté, mais consolide les règles issues de l’ancien texte ou dégagées par la jurisprudence.
Les deux facettes du principe d’autonomie de la convention d’arbitrage développées en jurisprudence sont consacrées. La première facette de ce principe, selon laquelle la convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, et n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-ci (dite « autonomie matérielle »), est intégrée pour la première fois au CPC[8], alors même que la règle est reconnue en droit français depuis l’arrêt Gosset de 1963[9], et que sa portée s’est depuis élargie à « l’autonomie juridique », seconde facette de ce principe, et selon laquelle l’existence et la validité de la clause s’apprécient d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique[10].
Bien entendu, le nouveau décret rappelle aussi le principe de « compétence-compétence » tel qu’il est reconnu en droit français de l’arbitrage, tant dans son effet (i) parfois appelé « positif », qui veut que l’arbitre dispose d’une priorité pour décider de sa propre compétence alors même que celle-ci est contestée, que dans celui (ii) parfois dit « négatif », et qui impose au juge étatique de se déclarer incompétent, et de laisser cette priorité à l’arbitre pour décider de sa compétence lorsqu’un litige relève prima facie d’une convention d’arbitrage, ou qu’il est soumis à une procédure arbitrale en cours. On rappellera ici la formulation de l’arrêt ABS[11], selon laquelle « seule la nullité manifeste de la convention d'arbitrage est de nature à faire obstacle à l'application du principe selon lequel il appartient à l'arbitre de statuer sur sa propre compétence, principe qui consacre la priorité de la compétence arbitrale pour statuer sur l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage ».
Ainsi, le décret modifie légèrement la lettre de l’ancien texte (art. 1466 CPC), pour en maintenir l’esprit, en prévoyant que le tribunal « est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel » (art. 1465 CPC), et ajoute la solution jurisprudentielle dégagée par l’arrêt Quarto Children’s book[12] qui exclue du principe de compétence-compétence, le cas d’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage. Ainsi, « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable » (art. 1448 CPC).
II. La constitution du tribunal arbitral et le « juge d’appui »
Concernant la constitution du tribunal arbitral, le décret reprend l’essentiel des dispositions antérieures comme des solutions jurisprudentielles acquises et maintenant bien établies. Le titre concernant l’arbitrage international ne contient d’ailleurs qu’une seule disposition spécifique au tribunal et à sa constitution : l’article 1505 CPC qui concerne les conditions de saisine du « juge d’appui » dans le cadre d’un arbitrage international, et le reste de la matière est traité par renvoi aux dispositions applicables à l’arbitrage interne[13].
Ainsi, les difficultés liées aux modalités de désignation des arbitres et à la constitution du tribunal arbitral, comme les causes de récusation et tout événement justifiant le remplacement d'un arbitre en cours de procédure, sont réglées par (i) « la personne chargée d’organiser l’arbitrage » désignée par les parties, qui peut être soit une institution d’arbitrage, soit, pour les arbitrages ad hoc, une autorité que les parties auront conventionnellement désignée, ou à défaut (ii) le « juge d’appui » qui, dans le cadre d’un arbitrage international et sauf clause contraire, est le Président du Tribunal de grande instance de Paris (art. 1505 CPC).
Le « juge d’appui » n’aura donc vocation à intervenir que si les parties n’ont pas désigné de « personne chargée d’organiser l’arbitrage ». Cette disposition permettra ainsi aux parties qui ont désigné une telle personne, de s'assurer que les difficultés liées à la constitution du tribunal seront réglées sans interférence des juridictions françaises, avant que ne s’exerce, le cas échéant, le contrôle du juge, au stade de l'annulation ou de l’exécution de la sentence.
L’article 1505 CPC prévoit en particulier que le juge d’appui pourra être saisi dans les cas suivant : « lorsque : (1o) l'arbitrage se déroule en France ou (2o) les parties sont convenues de soumettre l'arbitrage à la loi de procédure française ou (3o) les parties ont expressément donné compétence aux juridictions étatiques françaises pour connaître des différends relatifs à la procédure arbitrale ou (4o) l'une des parties est exposée à un risque de déni de justice »[14].
Les trois premiers cas de saisine du juge d’appui français se comprennent d’eux mêmes par le lien existant avec la France, et n’appellent donc pas de commentaire particulier. En revanche, est plus intéressante la possibilité pour une partie exposée à un risque de déni de justice de saisir le juge d’appui français alors que l’arbitrage apparaît sans connexion avec la France. Cette hypothèse est issue de la jurisprudence Nioc[15]. Dans cet arrêt, National Iranian Oil Company (Nioc) et l’Etat d’Israël étaient liés par une clause d’arbitrage selon laquelle chaque partie nommerait un co-arbitre et le président du tribunal serait nommé par ceux-ci ou, en l’absence d’accord, par le président de la Chambre de commerce internationale « de Paris ». A la suite du refus de l’Etat d’Israël de nommer un co-arbitre et alors que Nioc se trouvait dans l’impossibilité pratique de saisir les tribunaux israélien et iranien normalement compétents, la Cour de cassation française a dégagé la règle selon laquelle l'impossibilité pour une partie d'accéder au tribunal chargé de statuer sur sa prétention, à l'exclusion de toute autre juridiction étatique, et d'exercer ainsi un droit qui relève de l'ordre public international, constitue un déni de justice qui fonde la compétence internationale du président du Tribunal de grande instance de Paris, dès lors qu'il existe un rattachement avec la France. En l’espèce, pour la Cour de cassation, ce lien était créé par le fait que la clause d’arbitrage mentionnait Paris. Le décret du 13 janvier 2011 va donc plus loin en supprimant l’exigence d’un quelconque lien de rattachement, même si certains estiment qu’il appartiendra à la jurisprudence de déterminer si l’exigence du lien de rattachement a été ou non supprimée[16].
Les commentateurs s’accordent à dire que ce texte ne trouvera que de rares applications, mais qu’il est emblématique de la vision française de l'arbitrage international, en ce qu’elle reconnaît et préserve la volonté des parties de recourir à l’arbitrage[17].
III. L’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral
Les devoirs et obligations des arbitres dans l’exécution de leur mission sont régis par les articles 1456 à 1458 CPC, applicables à l’arbitrage international par l’effet de l’article 1506 CPC. L’article 1456 CPC précise dans son premier alinéa, conformément à la jurisprudence établie[18], que le tribunal arbitral est constitué et saisi du litige lorsque le ou les arbitres ont accepté leur mission, et cet article précise dans ses alinéas suivants le principe selon lequel l’arbitre doit révéler, avant d’accepter sa mission, toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance et son impartialité[19].
Cette obligation de révélation demeure pour toute circonstance qui pourrait naître postérieurement à l’acceptation de sa mission par l’arbitre. La règle retenue est, encore une fois, conforme à la jurisprudence établie préalablement à la publication du nouveau décret : cette obligation de révélation pèse sur l’arbitre, afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation. Quant aux circonstances que l’arbitre devra révéler, il appartiendra à la jurisprudence de les déterminer, sur la base des critères qu’elle a déjà dégagé, de notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre[20].
En outre, le nouveau texte encadre le droit de récusation et de révocation des parties et l’enferme dans un délai d’un mois à compter de la révélation ou de la découverte du fait litigieux (arts. 1456, al. 3, et 1458 CPC).
Ces dispositions (arts. 1456 à 1458 CPC) ne s’appliquent pas dès l’entrée en vigueur du décret mais uniquement aux arbitrages dans lesquels la constitution du tribunal est intervenue après le 1er mai 2011.
IV. L’instance arbitrale
L’un des objectifs des rédacteurs du décret du 13 janvier 2011 est de renforcer l’efficacité de la procédure arbitrale. Pour ce faire, le chapitre concernant l’instance consacre les principes procéduraux applicables à l’arbitrage international (A) et renforce les pouvoirs du tribunal arbitral (B).
A. La confirmation et l’affirmation de nouveaux principes procéduraux
Le principe de la liberté des parties et des arbitres dans la conduite de la procédure est bien entendu confirmé. L'article 1509 CPC énonce, comme le faisait l’ancien texte[21], que « [l]a convention d'arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d'arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans l'instance arbitrale. Dans le silence de la convention d'arbitrage, le Tribunal arbitral règle la procédure autant qu'il est besoin, soit directement, soit par référence à un règlement d'arbitrage ou à des règles de procédure ». Le tribunal reste donc libre d’appliquer à la procédure une loi, un règlement d'arbitrage, ou des règles et principes de procédures tels que, par exemple, ceux de l'International Bar Association en matière d’administration de la preuve, ou même de seulement s’y référer comme source d'inspiration[22].
La seule limite à cette liberté se trouve dans les principes d’ordre public procédural rappelés et expressément mentionnés à l’article suivant, et selon lequel : « Quelque soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction » (Art. 1510 CPC).
En outre, le nouveau texte affirme également, par renvoi à l’article 1464, alinéa 3 CPC, applicable à l’arbitrage interne, le principe selon lequel les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure. Les rédacteurs du décret ont délibérément choisi de ne pas renvoyer à l’alinéa suivant du même article qui soumet la procédure arbitrale interne à la confidentialité, sauf volonté contraire des parties. Ce choix a semble-t-il été justifié par le souci de transparence qui joue un rôle de plus en plus important dans le contentieux de l’investissement. Ainsi, les parties à un arbitrage commercial international qui souhaitent bénéficier de la confidentialité devront le préciser dans leur convention d’arbitrage, dans leur acte de mission ou dans tout accord exprès[23].
Par renvoi à l’article 1466 CPC applicable à l’arbitrage interne, le principe de loyauté procédurale, selon lequel « une partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir » est également affirmé par le nouveau texte. Cette obligation d’invoquer les griefs susceptibles d’entraîner l’annulation de la sentence devant les arbitres, progressivement reconnue puis sans cesse rappelée par la jurisprudence française[24], a même donné lieu, avec l’arrêt Golshani rendu en 2005, à l’invocation et l’application par les tribunaux français de la règle de l’estoppel, en vertu de quoi il est interdit à une partie de se contredire au détriment de l’autre et de nature à l’induire en erreur[25].
B. Le renforcement des pouvoirs du tribunal arbitral
En second lieu, le décret renforce les pouvoirs du tribunal arbitral, encore une fois par renvoi aux dispositions relatives à l’arbitrage interne sur le sujet. Comme avant la réforme de 2011, le tribunal peut bien sûr procéder à des actes d’instructions et à l’audition de témoin (art. 1467 CPC). L’alinéa 3 de cet article prévoit même que le tribunal peut enjoindre à une partie qui détient un élément de preuve de le produire, si besoin à peine d’astreinte. La jurisprudence avait, il est vrai, déjà admis qu’un tribunal puisse adresser une injonction à une partie en l’accompagnant d’une astreinte, précisant qu’une telle mesure « constitue un prolongement inhérent et nécessaire à la fonction de juger pour assurer une meilleure efficacité au pouvoir juridictionnel et ne caractérise ainsi aucun dépassement de la mission de l'arbitre »[26].
En outre, l’article 1468 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner, éventuellement sous astreinte, toute mesure conservatoire ou provisoire qu’il juge opportune, à l’exclusion des saisies conservatoires et sûretés judiciaires, qui restent de la compétence exclusive du juge étatique[27]. Le tribunal arbitral a également le pouvoir de trancher lui-même tout incident de vérification d’écriture ou de faux (art. 1470 CPC).
En revanche et bien entendu, le tribunal ne peut ordonner des mesures qui concernent les tiers à la procédure arbitrale. Mais, l’article 1469 CPC prévoit que le juge français a, sur invitation du tribunal, le pouvoir d’ordonner à un tiers de produire des éléments de preuve dont la communication serait nécessaire pour trancher le litige. En cette matière, le juge compétent est le président du tribunal de grande instance, et sa compétence territoriale est déterminée selon le nouveau texte par les règles de procédure civile de droit commun (arts. 42 à 48 CPC, qui prévoient notamment que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur). Le juge français n’aura donc véritablement cette compétence que dans l’hypothèse où le tiers concerné demeure en France, ce qui limite grandement l’applicabilité, et par là même, l’utilité, de l’article 1469 CPC.
Enfin, concernant les règles de droit applicable au litige, l’article 1511 CPC reprend les termes de l’ancienne disposition en prévoyant que le tribunal « tranche le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisi ou, à défaut, conformément à celles qu’il estime appropriées ». La formulation de cette disposition vise à permettre aux parties ou au tribunal d’opter pour le droit d’un Etat déterminé, mais aussi pour des règles de droit a-nationales, comme par exemple les principes UNIDROIT. En outre, les parties peuvent toujours conférer au tribunal le pouvoir de trancher le litige en amiable composition (art. 1512 CPC).
V. La sentence
Les règles relatives à la sentence n’ont pas véritablement été modifiées, même si quelques renvois complémentaires de notre droit de l’arbitrage international vers le droit de l’arbitrage interne ont été conservés ou spécifiquement ajoutés. C’est ainsi le cas des règles sur le secret du délibéré (art. 1479 CPC, qui remplace l’art. 1469 ancien CPC), sur le contenu de la sentence (arts. 1481 et 1482 CPC, qui remplacent les articles 1472 et 1471 anciens CPC, concernant les mentions obligatoires de la sentence et imposant l’exposition succincte des prétentions et moyens des parties, comme la motivation de la sentence), ou sur l’autorité de chose jugée de la sentence (art. 1484, alinéa 1 CPC[28], qui remplace l’article 1476 ancien CPC). En outre, des règles spécifiques par renvoi exprès de l’article 1506 CPC aux dispositions applicables à l’arbitrage interne sont maintenant spécifiquement prévus par le droit français concernant par exemple la possibilité pour le tribunal d’assortir la sentence de l’exécution provisoire (art. 1484, alinéa 2 CPC), ou d’interpréter, de réparer les erreurs et omissions matérielles et de compléter la sentence (arts. 1485 et 1486 CPC).
Le principe selon lequel la sentence est rendue à la majorité des voix demeure également inchangé. En revanche, et contrairement aux dispositions applicables à l’arbitrage interne, il est maintenant prévu qu’à défaut de majorité, le président du tribunal arbitral peut statuer seul. Dans ce cas, si les co-arbitres refusent de signer la sentence, le président du tribunal en fait mention dans celle-ci (art. 1513 CPC[29]). Il a été dit que cette exception au principe de collégialité répond à la nécessité d’éviter les situations de blocage dans le contexte particulier de l’arbitrage international où les arbitres ne partagent pas forcément la même culture juridique, voire la même conception de l’arbitrage[30].
Ensuite, et dans le souci d’améliorer l’efficacité de la sentence et d’accélérer son exécution, les formalités de notification et de traduction des sentences ont été significativement assouplies. Le décret donne ainsi aux parties la possibilité de déterminer les modalités de notification de la sentence en France ou de la décision relative à la reconnaissance ou l’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger[31]. L’article 1515 CPC permet également à une partie qui sollicite la reconnaissance et l’exécution en France d’une sentence rédigée en langue étrangère, de produire dans un premier temps une traduction libre devant le juge de l’exequatur ou de l’annulation. Il a été en effet considéré que l’exigence d’une traduction établie par un traducteur expert n’était pas nécessaire. Dans un second temps, le demandeur à la reconnaissance ou à l’exequatur peut cependant être invité à produire une traduction établie par un traducteur expert[32].
La reconnaissance et l’exécution des sentences sont traitées dans le chapitre 3 du titre consacré à l’arbitrage international dans le CPC. L’article 1514 CPC prévoit qu’une sentence peut être reconnue et exécutée en France si son existence est établie par celui qui s’en prévaut, et si sa reconnaissance ou son exécution n’est pas manifestement contraire à l’ordre public international. L’existence de la sentence est établie par la production de l’original, ou de copies réunissant les conditions pour attester de son authenticité (art. 1515 CPC).
Concernant la compétence territoriale du juge de l’exequatur, le décret a surtout consacré la pratique existante : en effet, pour les sentences internationales rendues en France, c’est le tribunal de grande instance dans le ressort duquel la sentence a été rendue qui est compétent, alors que pour les sentences rendues à l’étranger, c’est le tribunal de grande instance de Paris qui est compétent, ce qui permet de centraliser le contentieux de l’exequatur devant la cour d’appel de Paris.
Lorsque l’exequatur est accordé, celle-ci est apposée sur la sentence ou sur sa traduction ; en revanche, l’ordonnance qui refuse l’exequatur doit être motivée et est susceptible de recours.
VI. Les voies de recours
Ce chapitre est découpé en trois parties : les sentences rendues en France, les sentences rendues à l’étranger, et les dispositions communes.
Le régime des voies de recours contre les sentences rendues en France a subi d’importantes modifications, dont la plus importante concerne l’effet suspensif des voies de recours. Avant d’aborder cette question, notons que les parties à un arbitrage dont le siège est en France peuvent désormais renoncer au recours en annulation. En effet, selon l’article 1522 CPC, cette renonciation peut avoir lieu à tout moment, doit s’effectuer par convention spéciale, et être expresse. Ces dernières conditions laissent à penser qu’une renonciation dans des termes génériques ou contenus dans le règlement d’un centre d’arbitrage, comme l’article 28.6 du Règlement d’arbitrage de la CCI, selon lequel « les parties renoncent à tout recours auquel elles peuvent renoncer » ne sera pas suffisante, et qu’une renonciation sans ambigüité sera nécessaire[33].
Ensuite, on remarquera que, comme avant la réforme, la sentence rendue en France ne peut faire l’objet, en principe[34], que d’un recours en annulation (art. 1518 CPC), et que celui-ci doit être porté devant la cour d’appel dans le ressort duquel la sentence a été rendue dans le délai d’un mois à compter de la notification de la sentence (art. 1519 CPC).
Concernant la notification de la sentence, on note un assouplissement du formalisme en matière d’arbitrage international. En effet, l’ancien texte imposait que la sentence soit signifiée, c’est-à-dire par voie d’huissier de justice. L’article 1519 alinéa 3 CPC précise désormais que la notification est faite par signification, à moins que les parties n’en conviennent autrement.
Les cas d’ouverture du recours en annulation ont été légèrement modifiés : il s’agit toujours des hypothèses où : (1) le tribunal se déclare compétent à tort, ou (2) le tribunal a été irrégulièrement constitué, ou (3) le tribunal a statué sans se conformer à sa mission, ou (4) le principe de la contradiction n’a pas été respecté, ou (5) la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international (art. 1520 CPC). Mais le nouvel article 1520 (1) CPC permet désormais également expressément la saisine du juge de l’annulation lorsqu’un tribunal se déclare incompétent à tort. Ce cas d’ouverture était reconnu par la jurisprudence[35], sur le fondement de l’article 1502-3 ancien CPC relatif au respect par le tribunal de sa mission, et précisait que « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres »[36].
L’article 1525 CPC prévoit quant à lui que les décisions qui statuent sur une demande de reconnaissance et d’exécution d’une sentence rendue à l’étranger, en matière interne ou internationale, sont susceptibles d’appel sur les mêmes fondements que ceux de l’article 1520 CPC.
Comme indiqué plus haut, la modification la plus substantielle apportée par le nouveau décret concerne le régime des voies de recours et se trouve dans l’effet non suspensif du recours en annulation ou de l’appel de l’ordonnance d’exequatur. En effet, avant la réforme, le recours contre une sentence ou l’ordonnance d’exequatur avait un effet suspensif d’exécution. Cette règle permettait donc aux parties condamnées par une sentence de former des recours dans le seul but d’en retarder ou d’en négocier l’exécution. Désormais, le recours en annulation et l’appel de l’ordonnance d’exequatur n’ont plus d’effet suspensif, et la sentence ou l’ordonnance qui accorde l’exequatur est immédiatement exécutoire (art. 1526 CPC[37]). Toutefois, l’alinéa 2 de cet article permet à la partie qui souhaite demander la suspension de cette exécution de saisir le « le premier président statuant en référé ou dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état » qui pourra « arrêter ou aménager l’exécution de la sentence si cette exécution est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties ».
Conclusion
En consolidant la jurisprudence et en modernisant certaines règles, le décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 accroit sans aucun doute la lisibilité et l’efficacité du droit français de l’arbitrage. L’assouplissement des conditions d’accès à l’arbitrage et des formalismes, comme le renforcement des pouvoirs du tribunal suffisent en eux-mêmes à confirmer la faveur de la France pour l’arbitrage et le maintien de celle-ci comme principale place d’arbitrage dans le monde.
Denis Bensaude
Avocat aux Barreaux de Paris et de New York
Bensaude
denis.bensaude@bensaude-paris.com
Annaïg Combe
Avocat au Barreau de Paris
Bensaude
annaig.combe@bensaude-paris.com
[1] Voir notamment les commentaires de E. Gaillard et P. de Lapasse, Le nouveau droit français de l’arbitrage interne et international, D. 2011.175 ; E. Kleiman et J. Spinelli, La réforme du droit de l’arbitrage, sous le double signe de la lisibilité et de l’efficacité – A propos du décret du 13 janvier 2011, Gaz. Pal. 27 janv. 2011, p. 9 ; B. Moreau, Le décret du 13 janvier 2011 relatif à l'arbitrage interne et international, Revue de jurisprudence commerciale, Mars/Avril 2011, n° 2 ; Ch. Jarrosson, J. Pellerin, Le droit français de l’arbitrage après le décret du 13 janvier 2011, Rev. arb. 2011.5 ; E. Gaillard, Commentaire analytique du décret du 13 janvier 2011 portant réforme du droit français de l'arbitrage, Cah. Arb. 2011.263 ; B. Le Bars, La réforme du droit de l’arbitrage, un nouveau pas vers un pragmatisme en marche, J.-P. Grandjean et S. Colletier, Décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage – Disposition transitoires, JCP E, 10 févr. 2011 ; E. Loquin, La réforme du droit français interne et international de l'arbitrage, RTD com. 2011.255 ; A. Mourre et V. Chessa, The new French arbitration law: innovation and consolidation, Dispute Resolution Journal, May/July 2011, pp. 80-87 ; B. Castellane, The new French law on international arbitration, J. Int’l Arb. 2011.371 ; T. Clay, L’appui du juge à l’arbitrage, Cah. Arb. 2011.331, E. Schwartz, The new French arbitration decree: the arbitral procedure, Cah. Arb. 2011.349 ; Ch. Serraglini, L'efficacité et l'autorité renforcées des sentences arbitrales en France après le décret no2011-48 du 13 janvier 2011, Cah. Arb. 2011.375.
[2]J.-L. Delvolvé, Présentation du texte proposé par le Comité Français de l'Arbitrage pour une réforme du droit de l'arbitrage, Rev. arb. 2006.491.
[3] Rapport au Premier Ministre relatif au décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage, JO 14 janvier 2011, p. 773.
[4] Voir, pour un exemple récent, CA Paris, 7 avril 2011, Bourbon, Gaz. Pal. 24 juillet 2011, p. 12, note Bensaude.
[5] Fouchard, Gaillard, Goldman on International commercial arbitration, Kluwer Law International, 1999, pp. 194-195, para. 386.
[6] Article 1443 CPC : « A peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale ».
[7] Voir par exemple Paris, 8 juin 1995, Centro Stoccaggio Grani,Rev. arb. 1997.89.
[8] Le nouvel article 1447, alinéa 1 CPC prévoit en effet que : « La convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-ci ».
[9] Cass. 1re civ., 7 mai 1963, Gosset, JDI, 1964.82, note J.-D. Bredin.
[10] En effet, la jurisprudence française considère qu’« en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et que son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » selon Cass. 1re civ., 20 déc. 1993, Dalico, Rev. arb. 1994.116, note H. Gaudemet-Tallon.
[11] Cass. 1re civ., 26 juin 2001, ABS, Rev. arb. 2001. 529, note E. Gaillard.
[12] Cass. 1re civ., 16 oct. 2001, Quarto Children’s book, Rev. arb. 2002.919, note D. Cohen. En effet, la Cour avait alors énoncé que « la juridiction de l'Etat saisie d'un litige destiné à l'arbitrage doit se déclarer incompétente, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la convention d'arbitrage ».
[13] L’article 1506 CPC prévoit en effet que les articles 1452 à 1458 et 1460 CPC concernant la constitution du tribunal s’appliquent à l’arbitrage international.
[14] Les (2°) et (3°) ne s’appliquent qu’aux conventions d’arbitrage conclues après le 1er mai 2011.
[15] Cass. 1re civ., 1er fév. 2005, Nioc, Rev. arb. 2005.695, note H. Muir-Watt.
[16] C. Jarrosson, J. Pellerin, op cit. para. 84, pp. 59-60, mais contra voir notamment E. Gaillard et P. de Lapasse, op. cit. et E. Kleiman et J. Spinelli, op cit.
[17] E. Gaillard, op cit.
[18] Cass. 1re civ., 30 mars 2004, Rambour et autres, Rev. arb. 2005.979, note J. Pellerin.
[19] L’ancien texte, l’article 1452, alinéa 2 CPC prévoyait : « L'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. En ce cas, il ne peut accepter sa mission qu'avec l'accord de ces parties ».
[20] Voir pour un exemple récent applicable en matière interne mais transposable en matière internationale, Paris, 9 sept. 2010, Consorts A., Gaz. Pal. 6 févr. 2011, pp. 17-20, note D. Bensaude, et ASA Bull. 2011.197, note Ph. Pinsolle. Dans cet arrêt, la cour a clairement illustré la position de la jurisprudence quant à l’obligation de révélation de l’arbitre : « […] il est de principe que l’arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance, qui sont de l’essence même de la fonction arbitrale. […] l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre pour permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation doit s’apprécier au regard à la fois de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ». Voir également Paris, 20 octobre 2010 (2 arrêts), Gaz. Pal. 6 févr. 2011, pp. 17-20, note D. Bensaude, où la cour d’appel de Paris retient l’existence d’un « courant d’affaires » entre arbitre et partie du fait de la désignation fréquente du premier par la seconde (34 et 51 désignations).
[21] L’article 1494 ancien CPC prévoyait que : « La convention d'arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d'arbitrage, régler la procédure à suivre dans l'instance arbitrale ; elle peut aussi soumettre celle-ci à la loi de procédure qu'elle détermine. Dans le silence de la convention, l'arbitre règle la procédure, autant qu'il est besoin, soit directement, soit par référence à une loi ou à un règlement d'arbitrage. »
[22] Dont la dernière version, adoptée et publiée en mai 2010, est disponible à cette adresse : http://www.ibanet.org/LPD/Dispute_Resolution_Section/Arbitration/Projects.aspx#ArbitrationRules.
[23] Voir la Résolution N°1/2010 de l’International Law Association (ILA), disponible en anglais à l’adresse www.ila-hq.org/download.../B735709E-31A7-4374-BE5179AEE0756168 qui conclut, au vu des différentes approches concernant la confidentialité dans les différents systèmes juridiques et des différentes règles institutionnelles et professionnelles, que le meilleur moyen d’assurer la confidentialité (ou la non-confidentialité) est par un accord exprès pendant ou avant l’arbitrage. La résolution N°1/2010 de l’ILA propose également un modèle de clause de confidentialité auquel il est ici renvoyé.
[24] Voir L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir de l’irrégularité de la procédure arbitrale, Rev.arb. 1996.4 ; Cass. 2ème civ., 11 juillet 2002, Cass. 2ème civ., 21 novembre 2002, Cass. 2ème civ., 10 juillet 2003, Cass. 2ème civ., 20 novembre 2003, Rev.arb. 2004.283, note M. Bandrac ; voir également Paris, 18 Févr. 2010, Aléa, A View from Paris – June 2010, Mealey’s International Arbitration Report, Vol. 25, No. 6, June 2010, note J. Kirby et D. Bensaude.
[25] Cass. 1re civ., 6 juillet 2005, Golshani, Rev. arb. 2005.993, note Ph. Pinsolle. Voir également pour une définition a contrario de la notion d’estoppel, Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, Mérial, Gaz. Pal. 8 juin 2010, p. 14, note Bensaude. En effet, dans cet arrêt, la Cour a souligné que « le comportement procédural de [Mérial] n'était pas constitutif d'un changement de position, en droit, de nature à induire [Klocke] en erreur sur ses intentions et ne constituait donc pas un estoppel ».
[26] Paris, 7 oct. 2004, Otor, J. Int’l Arb. 2005.357, note D Bensaude.
[27] Voir par exemple, TGI Paris, Ord. réf., 29 mars 2010, République de Guinée Equatoriale, Rev. arb. 2011.499, note D. Bensaude.
[28] Selon lequel « [l]a sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, autorité de chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche ».
[29] D’après les dispositions transitoires du décret du 13 janvier 2011, l’article 1513 CPC ne s’applique qu’aux arbitrages dans lesquels la constitution du tribunal est intervenue après le 1er mai 2011.
[30] Rapport au Premier Ministre relatif au décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage, op. cit.
[31] Les articles 1519 al. 3, 1522 al. 3 et 1525 al. 3 CPC donnent aux parties la possibilité de déterminer les modalités de notification respectivement de la sentence rendue en France, de la sentence rendue en France revêtue de l’exequatur et de la décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger.
[32] La liste des personnes autorisées à effectuer cette traduction a été élargie ; ainsi, le traducteur peut être un traducteur inscrit sur une liste d’experts judiciaires mais également un traducteur habilité à intervenir auprès des autorités judiciaires ou administratives d’un autre Etat membre de l’Union européenne, d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse.
[33] Sur la renonciation expresse, voir par exemple, pour comparaison avec la renonciation à l’appel en matière interne, Paris, 23 juin 2011, Arefac (inédit), RG n°10/19817, où la cour a retenu que l’indication dans une clause d'arbitrage et un procès-verbal de saisine du tribunal que la sentence s'imposera aux parties n’est pas une renonciation à l'appel, car celle-ci doit être expresse.
[34] Si les parties ont renoncé au recours en annulation, l’appel de l’ordonnance d’exequatur reste cependant possible (art. 1522, al. 2 CPC). L’objet de cet aspect de la réforme est de permettre qu’une sentence rendue en France en matière internationale puisse en pratique ne jamais se voir « annuler dans son pays d’origine ».
[35] Paris, 16 juin 1988, Swiss Oil, Rev. arb. 1989.309, note Ch. Jarrosson ; Paris, 21 juin 1990, Compagnie Honeywell Bull, Rev. arb. 1991.96, note J.-L. Delvolvé.
[36] Cass. 1re civ, 6 oct. 2010, Abela, Gaz. Pal. 6 févr. 2011, p. 14, note D. Bensaude. Voir aussi J.-B. Racine, La sentence d’incompétence, Rev. arb. 2010.729.
[37] L’article 1526 CPC ne s’applique qu’aux sentences rendues après le 1er mai 2011.
Résumés de jurisprudence
Arbitrage international • Validité de la requête d’exequatur • Exception de litispendance internationale • Validité de la clause d’arbitrage • Mission • Ordre Public International
CA Paris, pôle 1, ch. 1, 18 novembre 2010, RG n° 09-20069
République de Guinée Equatoriale c/ SA Commercial Bank Guinea Ecuatorial
M. Matet, prés. ; Mmes Guihal et Dallery, cons.
La République de Guinée Equatoriale (RGE), était liée à Commercial Bank Guinea Ecuatorial (CBGE) par une convention d’établissement contenant une clause d’arbitrage OHADA. A la suite d’une absence d’agrément de CBGE de la part de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) et de l’autorité monétaire de la RGE, la RGE a été condamnée par sentence du 24 mai 2009 rendue à Libreville (Gabon) sous l’égide du traité OHADA à indemniser CBGE, qui en obtenait l’exequatur de la part du président du tribunal de grande instance de Paris le 15 juillet 2009, et la sollicitait de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage (CCJA) devant laquelle la RGE contestait la validité de la sentence le 13 juillet 2009.
En appel de l’ordonnance du juge français, la RGE soulevait la nullité de la requête pour (i) défaut d’existence légale de CBGE en vertu des droits OHADA et équato-guinéen, puisque la CBGE aurait été dépourvue de statuts constitutifs signés et authentifiés, de capital social suffisant ou encore notamment de siège social lors du dépôt de cette requête, et aurait été radiée de son registre en mai 2010, et (ii) vice de forme, pour avoir été opéré par simple mention manuscrite sur la première page de la sentence, sans indication de l’identité du requérant. La RGE prétendait également que l’examen en cours de la validité de la sentence devant la CCJA constituait une exception de litispendance impliquant dessaisissement du juge français ou au moins le sursis dans l’attente de la décision de la CCJA. La RGE soutenait aussi n’avoir pas consenti à l’arbitrage selon son propre droit, du fait de l’inexistence juridique de la CBGE et de l’absence du nom du représentant de la RGE dans la convention d’établissement, ce qui affectait également la validité de la convention d’établissement. La RGE prétendait également et entre autres choses, que le tribunal aurait dépassé sa mission en déduisant la validité de la clause d’arbitrage de la seule théorie de l’apparence, sans en vérifier la régularité formelle, et en la condamnant, sans distinguer la perte de chance du manque à gagner. La sentence serait enfin contraire à l’ordre public international pour (i) absence de motivation, (ii) avoir été rendue en violation (a) des règles de droit équato-guinéen permettant à un Etat de compromettre, et (b) de sa loi sur les investissements étrangers, et (iii) de la convention régissant la Cour de Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui aurait imposé aux arbitres de sursoir à statuer dans l’attente de l’avis de cette cour sur un acte de la COBAC, que la RGE avait sollicité.
Pour rejeter ce recours, la cour indique tout d’abord que si l’argument de nullité de la requête en exequatur n’est pas un grief de l’article 1502 CPC, il est un motif tenant à la régularité de la procédure en première instance qui peut être soulevé en appel, mais pour la cour, CGBE réunissait les conditions d’existence requises par le droit des sociétés équato-guinéen et OHADA au jour de la requête et que d’après les articles 1477, 1478 et 1500 CPC le juge est saisi par simple requête sans forme. Pour ensuite rejeter les demandes fondées sur une prétendue litispendance, la cour rappelle que la sentence arbitrale internationale n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique et est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicable dans le pays où sa reconnaissance et son exécution est demandées, et que procédure d’exequatur a pour objet d’accueillir la sentence dans l’ordre juridique français, alors que la procédure devant la CCJA a pour objet de l’accueillir dans l’ordre juridique de ses pays membres. La cour rappelle ensuite que selon le principe de validité de la clause d’arbitrage, la volonté des parties suffit à la valider sans recours à un droit national, notant que le droit OHADA prévoit que les Etats parties ne peuvent invoquer leur propre droit pour contester la validité de la clause, qui est soustraite à l’emprise des droits nationaux. Avant de rappeler le principe d’autonomie de la clause d’arbitrage par rapport au contrat qui la contient, la cour ajoute concernant le défaut de pouvoir, que le juge apprécie directement si le cocontractant a pu, sans faute, légitimement croire à l’absence de ce défaut de pouvoir ; ce qu’elle estime à l’examen des faits, ne pas être le cas en l’espèce. Pour retenir que le tribunal a respecté sa mission, la cour relève notamment que la sentence consacre 23 pages à l’examen de la validité de la clause d’arbitrage, et que le grief tenant à la distinction entre gain manqué et perte de chance ne relève pas de son contrôle, la cour d’appel n’étant pas juge d’une éventuelle erreur de fait ou de droit. La cour retient ensuite que le fait pour un Etat de compromettre n’est pas contraire à l’ordre public international et que CGBE n’explique pas en quoi le refus du tribunal d’interroger la Cour de la CEMAC serait contraire à l’ordre public international, d’autant que la Convention régissant la cour de la CEMAC prévoit que ses interprétations ne s’imposent qu’aux autorités administratives et judiciaire des Etats membres, et qu’une sentence internationale n’est rattachée à aucun ordre juridique, sa régularité étant appréciée selon les règles du pays où sa reconnaissance et son exécution est demandée. Enfin, sur la motivation, la cour souligne que l’absence de motivation d’une sentence internationale n’est pas en elle-même une violation de l’ordre public international à moins qu’elle ne dissimule une violation des droits de la défense, ce qui n’est ni allégué ni le cas en l’espèce puisque la sentence contient un chapitre « discussion et droit » de 108 pages…
Arbitrage • International • Compétence • Phase de conciliation préalable
CA Paris, pôle 2, ch. 1, 19 octobre 2010, n° 08-13182
Liquidateur judiciaire de Société d’Etude et de Réalisation pour les Industriels du Bois c/ Hainan Yangpu Xindadao Industrial Co. Ltd
M. Grandpierre, prés. ; Mmes Horbette et Gueguen, cons. – SCP Petit Lesenechal ; SCP Calarn-Delaunay, avoués – Me Vincot ; Me Fitoussi, avocats.
Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance d’exequatur apposée sur une sentence rendue à Beijing en 2004, sous l’égide de la CIETAC.
En 1999, la Société d’Etude et de Réalisation pour les Industriels du Bois (Seribo) et Hainan Yangpu Xindadao Industrial Co. Ltd (Hainan) ont conclu un contrat en versions anglaise et chinoise. Dans la première version, la clause d’arbitrage prévoyait que « les litiges survenant à propos de l'exécution du contrat entre les parties seront réglés par concertation amicale », que « les litiges ne pouvant se régler de cette façon, seront soumis à la [CIETAC] pour mener une médiation et un arbitrage », et qu’ensuite « s'il s'avère impossible de conclure un arrangement par les moyens ci-dessus, tous les litiges survenant du ou en relation avec le présent contrat seront réglés de façon définitive selon les règles de conciliation et d'arbitrage de la [CCI] par un ou plusieurs arbitres(s) nommé(s) conformément auxdites règles », et enfin que « le lieu d'arbitrage sera Paris ». La version chinoise envisageait qu’« [e]n cas de conflit, les parties s'efforceront de trouver une solution à l'amiable », qu’« à défaut, ce conflit doit être remis d'abord au CIETAC […] pour trancher » et que « le lieu d'arbitrage sera à Beijing ; si les deux parties sont consentantes, il peut être tranché par la [CCI], le lieu d'arbitrage sera à Paris ».
En 2003, Hainan a saisi la CIETAC et le tribunal, malgré la contestation de Seribo, s’est déclaré compétent et l’a condamnée à payer diverses sommes.
A l’appui de son recours, le liquidateur de Seribo soutenait que la CIETAC n’était pas compétente, car la version anglaise devait prévaloir, et la demande d’arbitrage de Hainan aurait été irrecevable car la phase de conciliation obligatoire prévue dans cette version n’avait pas été respectée.
La cour retient qu’il ressort des deux versions, qu’en cas de litige, les parties devaient s’efforcer de trouver une solution amiable au cours d’une phase préalable à l’arbitrage, mais que cette procédure n’est, dans aucune de ces versions, stipulée comme formalité préalable et obligatoire, dont l’omission serait de nature à priver les parties du droit de saisir l’arbitre et constituerait une clause de conciliation obligatoire dont la violation constitue une fin de non-recevoir en droit interne.
Arbitrage • Interne • Compétence-compétence • Appel en garantie
Civ. 1ère, 6 octobre 2010, RG n° 09/68731
SARL Blonde génétique c/ SCEA Plante Moulet
M. Pluyette, prés.
Ici, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt par lequel la cour d’appel d’Agen avait retenu sa compétence. Plante Moulet et Blonde Génétique avaient conclu un contrat de mise en pension d’un veau, qui contenait une clause d’arbitrage. Blonde Génétique, appliquant les orientations de l’association Blonde d’Aquitaine (l’association), a certifié le veau puis l’a vendu pour le compte de Plante Moulet à M. X. La progéniture du veau, devenu taureau, ne présentant pas les caractéristiques de la race, M. X a assigné Plante Moulet devant le tribunal de grande instance d’Agen. En première instance comme en appel, Plante Moulet a appelé Blonde Génétique et l’association en garantie, et qui se sont prévalues de la clause d’arbitrage. La cour d’appel d’Agen s’est déclarée compétente à leur égard aux motifs qu’aucun arbitre n’avait été saisi, que seul M. X était à l’origine du litige et que la clause d’arbitrage n’était opposable ni à M. X, ni à l’association.
Au visa du principe de compétence-compétence, la Cour de cassation casse cette partie de l’arrêt et rappelle que seul le caractère manifeste de la nullité ou de l’inapplicabilité de la clause d’arbitrage est de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la clause d’arbitrage.